Aliments et substrats énergétiques : quelle énergie pour courir ?
J’aborde dans cet article un point particulier de la course à pied : les différents substrats énergétiques (glucides, lipides, protéines) utilisés au cours d’un effort, leur stockage par l’organisme, les réserves, leur rendement énergétique. Nous verrons aussi l’effet de l’intensité de l’effort, de la durée et de l’entraînement sur le choix du substrat. Bref, d’où vient l’énergie quand nous courons ?
De l’énergie chimique à l’énergie mécanique
Notre corps produit de l’énergie mécanique quand nous courons. Cette énergie est en fait transformée à partir de l’énergie chimique contenue dans les substrats énergétiques stockés par l’organisme et c’est l’ATP (adénosine triphosphate) qui sert d’intermédiaire. Le rendement de cette transformation dépend du type d’activité ; pour la course à pied le rendement est de 25% environ, ce qui veut dire que notre corps n’utilise qu’un quart de l’énergie chimique pour avancer, le reste est dissipé sous forme de chaleur (pour la natation, ce rendement est encore plus faible, à cause de la résistance de l’eau pour avancer) !
L’énergie dépensée en course à pied
On parle souvent de calorie ou joule (1 calorie = 4,2 joules) pour quantifier l’énergie chimiques des aliments. Par contre, il est plus difficile de mesurer l’énergie produite quand on court mais on peut l’approcher en mesurant par exemple la quantité de chaleur dégagée. En course à pied, la dépense énergétique est d’environ 1 kcal/kg/km, ce qui veut dire qu’une personne de 70kg dépensera 70 kcal par kilomètre parcouru. Plus on est lourd, plus on dépense d’énergie pour parcourir une même distance, plutôt logique, non ? Par contre, cette relation signifie aussi que la consommation d’énergie est indépendante de la vitesse de course, elle ne dépend que de la distance parcourue ! Courir une heure à 10km/h est donc équivalent (d’un point de vue énergétique) à courir 40 minutes à 15 km/h, ou 30 minutes à 20 km/h !
Les muscles utilisent de l’ATP pour la contraction musculaire. Or nos réserves musculaires d’ATP sont très faibles, seulement quelques secondes d’effort ! Toutes les filières énergétiques ont donc pour but la production d’ATP à partir des substrats énergétiques.
Les substrats énergétiques
Un substrat énergétique est une substance utilisée par l’organisme pour produire de l’énergie. Ces substrats proviennent de notre alimentation et peuvent être décomposés en 3 grandes catégories :
- glucides
- lipides
- protéines
Ces substrats diffèrent notamment par la quantité d’énergie qu’ils produisent, les réserves stockées par l’organisme, la vitesse à laquelle ils sont transformés.
Les glucides
On distingue deux types de glucides : les glucides simples et les glucides complexes. Un glucide est dit simple si sa structure moléculaire est apparentée à celle du glucose, le glucide de référence. Ce sont ces glucides qui donnent le goût sucré des aliments, leur nom se termine en –ose : saccharose, maltose, fructose, lactose, etc. Où les trouve-t-on ? Dans les aliments sucrés bien entendu : sucre ordinaire (saccharose, extrait de la betterave ou de la canne à sucre), miel (fructose), confiture, confiseries, produits laitiers (lactose), etc.
Le principal glucide complexe de notre alimentation est l’amidon, que l’on retrouve dans les graines de céréales (blé, maïs, riz), la pomme de terre et aussi les légumineuses (pois, lentilles, haricots).
La part recommandée de glucides dans notre alimentation est d’environ 50-55% de nos apports énergétiques, mais celle-ci peut être augmentée à 60% pour le sportif, voire 70% pendant les jours précédents une compétition.
Le stockage des glucides
Après avoir été ingérés, les glucides, simples ou complexes, sont transformés en glucose par l’organisme. Le glucose est une molécule clé dans l’organisme, c’est le seul carburant des neurones ! C’est l’insuline qui est chargée de réguler la glycémie (taux de glucose dans le sang). Dès que la glycémie est trop élevée, la sécrétion d’insuline provoque la mise en réserve du glucose sanguin, ce qui fait baisser la glycémie à son taux normal de 1g/L.
Après l’ingestion de glucides, plus le pic de glycémie est élevé, plus la sécrétion d’insuline sera importante. Or l’insuline provoque également la transformation du glucose en triglycéride (composant principal de la graisse). Si le pic de glycémie est faible, alors le glucose est principalement stocké sous forme de glycogène. On est tenté de penser que ce sont les glucides simples, rapidement dégradés, qui favorisent la formation de graisse : d’où l’association glucides simples/sucres rapides et glucides complexes/sucres lents que l’on voit parfois. Or ce n’est pas aussi simple, par exemple l’absorption de fructose, qui a pourtant un pouvoir sucrant supérieur au saccharose, n’entraîne pas de pic prononcé de la glycémie et n’est donc pas un « sucre rapide ». On classe en fait les aliments selon leur indice glycémique (IG) qui mesure l’intensité du pic de glycémie après leur ingestion. Plus l’indice glycémique est élevé (la valeur la plus haute étant de 100 pour le glucose), plus le taux de glucose dans le sang augmente rapidement. La valeur du saccharose est de 65, contre 20 seulement pour le fructose… Il faut cependant ramener cet indice à la teneur en glucide de l’aliment. Par exemple, la pastèque a un IG de 72, mais ne contient que 5g de glucides pour 100g, ce qui donne une charge glycémique de 72×5/100 = 3,6. Au contraire, un biscuit sec (genre « petit beurre ») a un IG de 55, plus faible que la pastèque, mais contient 75g de glucides pour 100g de biscuit, soit une charge glycémique de 55×75/100 = 41 ! Il faut donc manger 100×41/3,6 = 1,1kg de pastèque pour obtenir la même charge glucidique que 100g de biscuit !
Glucides et alimentation
De manière générale, manger des aliments à faible charge glycémique permet de favoriser le stockage d’énergie sous forme de glycogène et non de graisse. Par ailleurs, on comprend mieux l’intérêt de la fameuse «pasta-party» la veille d’une course, elle n’a d’autre but que de remplir les réserves de glycogène. Attention (tout est relatif…) cependant à la cuisson des pâtes : si l’indice glycémique des pâtes al-dente est de 40, celui des pâtes « bien cuites » est de 60… Et oui, la cuisson facilite la digestion des aliments 😉 C’est pourquoi l’indice glycémique d’un aliment varie en fonction de sa préparation, l’indice glycémique étant plus faible pour un aliment cru.
Voilà pour la diversion glucidique :), ce qu’il faut retenir c’est que plus la charge glycémique d’un aliment est faible, plus l’organisme aura tendance a le stocker sous forme de glycogène et non de graisse (mais il faut quand même qu’il contiennent des glucides pour pouvoir en stocker ;)). Or nous allons voir que le glycogène est justement le carburant idéal pendant l’effort…
Les réserves de glycogène
Le glycogène est en fait un assemblage de molécules de glucose mises bout à bout. Le glycogène est stocké au niveau des muscles et du foie. Le foie stocke environ 100g de glycogène, alors que les muscles en contiennent environ 300g. Ces réserves correspondent à un sédentaire mais peuvent être beaucoup importantes pour un coureur entraîné.
L’utilisation du glycogène lors d’un effort
Lors d’un effort, le glycogène est « cassé » en glucose lors de la glycogénolyse (lyse = délier, détacher) et le glucose est utilisé pour produire l’ATP nécessaire à la contraction musculaire (l’oxydation d’une molécule de glucose permet de fournir 38 molécules d’ATP). Les muscles sollicités utilisent le glycogène qu’ils contiennent alors que le glycogène hépatique est dégradé en glucose qui est ensuite transporté par le sang jusqu’aux muscles. Sachant qu’un gramme de glucose libère 4 kcal, les réserves apparaissent limitées (1600 kcal pour 400g de glycogène) : le glycogène seul ne peut couvrir les besoins énergétiques d’une épreuve longue comme un marathon ! En effet, pour un coureur de 70kg, l’énergie dépensée au cours d’un marathon est d’environ 70×42 soit 3000 kcal. De plus, l’ensemble du glycogène n’est pas mobilisable, seul celui des muscles actifs est utilisé, pas celui des muscles inactifs.
Le glycogène est le carburant privilégié aux allures rapides ou lors des changements de rythme, car le délai de réponse est court et la vitesse de dégradation rapide. Le carburant « glycogène » est donc le seul à pouvoir répondre à une augmentation rapide de la demande en énergie. En course, le « but du jeu » est donc de réussir à préserver les réserves de glycogène le plus longtemps possible. Sur le graphique ci-dessous, on voit très bien que plus l’intensité de l’exercice est élevée, plus la déplétion de glycogène est rapide. Ainsi, à 75% de la VO2 max (75% de votre VMA, soit un footing rapide), la déplétion intervient 90 minutes après le début de l’exercice.
L’entraînement a justement pour but d’habituer l’organisme à utiliser les graisses plutôt que le glycogène. Pour une même allure, un coureur entraîné utilisera moins de glycogène qu’un coureur débutant et préservera donc son stock de glycogène.
Les lipides
Les lipides provenant de l’alimentation sont d’origine végétale (huile d’olive, tournesol, colza, etc.) ou issues des graisses animales (beurre, fromage, lait mais aussi la viande ou les poissons « gras »). La quasi-totalité des lipides que nous ingérons est sous la forme de triglycérides (3 acides gras attachés à une molécule de glycérol) et est stocké au niveau du tissu adipeux (situé juste sous la peau, il permet entre autre de nous protéger et de nous isoler du froid). Les lipides constituent 20 à 35% de nos apports énergétiques journaliers.
L’utilisation des lipides lors d’un effort
Lors d’un effort, la lipolyse des triglycérides permet de détacher les acides gras du glycérol. Les acides gras libres circulent alors dans le sang jusqu’aux muscles. En plus de cet apport, les cellules contiennent des gouttelettes lipidiques qui sont déjà sur place pour être consommées directement par la cellule. Les acides gras libres sont alors oxydés dans les mitochondries, qui sont les véritables usines énergétiques des cellules.
Leur rendement énergétique est meilleur que celui des glucides : 1g de lipide permet de fournir 9kcal (contre 4kcal pour 1g de glucide). De plus, leur réserve est beaucoup plus importante (entre 12 et 25% du poids corporel), ce qui donne une réserve énergétique de plus de 100 000kcal ! De quoi courir plusieurs marathons ! Mais alors, c’est notre carburant idéal !? Malheureusement, ce n’est pas aussi simple. C’est un bon carburant d’un point de vue du rendement énergétique (9kcal/g contre 4kcal/g pour les glucides) et également en terme de réserves stockées dans l’organisme. En revanche, ils nécessitent de l’oxygène et de l’énergie pour leur dégradation. Leur vitesse de dégradation est donc plus lente que celle des glucides : l’énergie est libérée plus lentement. Ceci explique pourquoi leur part diminue quand l’intensité de l’exercice augmente : le « débit » de libération de l’énergie devient trop faible. De même, la répartition des substrats ne sera pas la même entre une course continue (par exemple 30min) et une course par intervalle (3 fois 10min) à vitesse égale. La course continue fera davantage appel aux lipides que la course par intervalle. Ceci est dû au délai de mise en place de la filière lipidique. Les deux filières ne sont pourtant pas indépendantes, puisque l’oxydation des lipides à besoin de glucose pour que la dégradation soit complète. Si le glucose disponible vient à diminuer, alors l’oxydation des lipides sera ralentie : on dit que « les lipides brûlent au feu des glucides ».
Pendant l’effort, les triglycérides viennent palier la déplétion du stock de glycogène. La proportion des lipides pour fournir l’énergie va donc augmenter au cours de l’effort, plus la durée sera importante, plus la part lipidique augmentera. C’est ce que l’on observe sur la figure ci-dessous, la part du glycogène musculaire diminue alors que celle des lipides augmente quand l’exercice se prolonge. On note également une hausse de la consommation de glucose plasmatique.
L’effet de l’entraînement sur l’utilisation des lipides
L’entraînement à faible intensité permet d’améliorer l’utilisation des graisses et donc de préserver le stock de glycogène, en augmentant notamment les enzymes responsables de la bêta-oxydation des triglycérides et en augmentant le nombre de gouttelettes lipidiques dans les cellules. Celles-ci sont préférentiellement utilisées lors de l’effort, elles se rechargent ensuite à partir des acides gras libres libérés par le tissu adipeux.
En revanche, si l’entraînement est réalisé exclusivement à des allures lentes, le coureur perd ses aptitudes à courir vite. Ce coureur sera capable de courir longtemps à faible allure, mais sera incapable d’accélérer ou de changer de rythme : c’est l’effet « diesel » bien connu des trailers qui favorisent trop les sorties longues au détriment des autres types de séance (VMA, seuil).
Les protéines
Les protéines sont essentiellement présentes dans la viande, le poisson, les produits laitiers et les œufs. Dans notre alimentation, elles représentent 10 à 15% de l’apport énergétique quotidien. Les protéines ont surtout un rôle pour la structure de l’organisme, notamment pour la réparation et la construction du tissu musculaire.
Pendant l’effort, elles peuvent représenter jusqu’à 10% de l’apport énergétique mais seulement en cas de manque de glucose (il vaut mieux éviter d’en arriver là !), et pour des efforts de longues durées (plusieurs heures). Leur importance pour le sportif réside donc dans l’entretien des muscles et non comme carburant. Leur rendement énergétique est le même que celui des glucides, c’est-à-dire qu’un gramme de protéine fournit 4kcal d’énergie.
Bilan sur les substrats énergétiques
J’ai regroupé dans le tableau ci-dessous les différents substrats énergétiques, leur emplacement, la quantité d’énergie qu’ils libèrent et les stocks disponibles en masse et en énergie pour une personne de 70kg (pour 12 et 25% de graisse). Les substrats circulants (glucose extracellulaire et triglycérides du plasma) représentent une quantité d’énergie négligeable par rapport aux réserves stockées. Ces données varient en fonction de la morphologie de la personne et de l’entraînement, mais elles donnent une bonne idée des proportions.
Substrat énergétique |
Tissu |
Réserves (en g) |
Rendement (en kcal/g) |
Réserves (en kcal) |
|
ATP |
Muscles |
70 |
0,02 |
1,4 |
|
Glucides |
Glycogène |
Muscles |
300 à 600 |
4 |
1200 à 2400 |
Foie |
100 |
400 |
|||
Glucose |
Extracellulaire |
20 |
80 |
||
Lipides |
Triglycérides |
Muscles |
300 |
9 |
2700 |
Tissu adipeux |
8000 à 16000 |
72000 à 144000 |
|||
Plasma |
4 |
36 |
|||
Protéines |
Muscles |
6000 à 10000 |
4 |
24000 à 40000 |
Glucides versus lipides lors de l’effort
La figure ci-dessous montre la répartition de la consommation énergétique dans le quadriceps en fonction de l’intensité de l’effort. La part de glycogène augmente nettement avec l’intensité. La part des lipides est maximale à 57% de VO2 max puis chute franchement pour une intensité plus élevée.
Pour généraliser, le graphique ci-dessous montre la part relative de lipides et des glucides en fonction de l’intensité de l’effort. Plus l’intensité augmente, plus la part des glucides est importante. Le point de croisement des 2 courbes correspond à l’intensité à laquelle l’énergie est fournie à 50% par les lipides et à 50% par les glucides. Ce concept a été proposé par Brooks et Mercier (1994) sous le nom de « crossover concept » (concept de croisement métabolique).
Le point de croisement se situe pour une consommation d’environ 30% lipides et 70% de glucides. En effet, pour 100g de substrats consommés, 30g de lipides libèrent 30*9=270kcal et 70g de glucides fournissent 70*4=280kcal, soit environ autant que les lipides.
Cette courbe est propre à chaque individu et change avec l’entraînement. En effet, le footing à faible allure favorise l’utilisation des graisses, ce qui tend à déplacer le point de contact vers la droite. La figure ci-dessous montre justement la répartition énergétique entre un membre entraîné et non entraîné. Le résultat est clair : la part de lipides augmente avec l’entraînement.
Ce qu’il faut retenir
Si vous êtes perdus :), voici les principaux points clés à retenir :
- L’énergie consommée en course à pied est d’environ 1kcal par kilomètre parcouru, ce qui veut dire que la consommation d’énergie est indépendante de la vitesse, elle ne dépend que de la distance parcourue.
- En relation avec le point précédent, la même quantité d’énergie est dépensée pour courir 20km vite ou lentement, mais la proportion des substrats énergétiques consommés sera différente. La part de glucides consommés augmente avec l’intensité de l’effort tandis que celle des lipides diminue.
- La part des glucides diminue lorsque la course se prolonge, au fur et à mesure que les stocks de glycogène musculaire et hépatique s’amenuisent. Les lipides prennent alors le relai. Les protéines n’interviennent comme carburant que pour des efforts de très longue durée (plusieurs heures).
- Les lipides constituent la réserve énergétique la plus importante, et de loin. C’est le carburant aux allures lentes et dans la durée, alors que le glycogène est le carburant de la vitesse. Le stock de glycogène est limité, la totalité du glycogène étant épuisé après un effort de 90 minutes à 75% de V02 max.
- L’entraînement permet d’utiliser plus de lipides pour un effort de même intensité. Attention cependant aux effets « diésélisant » des sorties longues répétées trop souvent au détriment des autres séances de type VMA ou seuil.
Cet article touche à sa fin, j’espère ne pas vous avoir perdu dans mes explications. Dans tous les cas, n’hésitez pas à poser vos questions 😉
Bonjour et d’abord merci pour tout ces articles enrichissants et motivants!
Ma question est simple finalement: quel « régime » est tu conseillerais pour quelqu’un qui voudrait courir 21km….et plus….?
Et quel entrainement type sur une semaine…sachant que je ne débute pas…
Voilà!merci merci merci!