Du carburant à l’énergie : les filières énergétiques en course à pied
Dans le dernier article, j’avais abordé la physiologie de l’effort, en détaillant les substrats énergétiques (le carburant) utilisés pour fournir de l’énergie. Dans cet article, je détaille les 3 filières énergétiques qui permettent de passer du carburant à l’énergie. Ces voies diffèrent notamment par le carburant, le débit d’énergie libérée et les déchets qu’elles produisent. Découvrez comment ces filières fournissent l’énergie en fonction de l’intensité de l’effort, leurs avantages et inconvénients pour le coureur en terme de capacité, puissance et de déchets.
Le renouvellement nécessaire de l’ATP
Les muscles ont besoin de l’énergie stockée sous forme d’ATP (adénosine triphosphate) pour se contracter et nous faire avancer. Or les réserves d’ATP stockées par l’organisme sont minimes et ne permettent que quelques secondes de travail musculaire. La réaction de dégradation de l’ATP est la suivante :
ATP <–> ADP + Pi + énergie (7kcal par mole d’ATP)
C’est la rupture d’une liaison phosphate qui permet de libérer de l’énergie et forme de l’ADP (adénosine diphosphate) et un phosphate. Pour continuer l’effort, le corps doit donc en permanence renouveler l’ATP qui est aussitôt « consommée ». L’ATP est produite à partir des substrats énergétiques, qui sont obtenus grâce aux aliments que nous mangeons.
Pourquoi l’organisme ne stocke-t-il pas plus d’ATP ?
On peut se demander pourquoi notre organisme ne stocke pas toute l’ATP nécessaire pour des efforts plus longs que quelques secondes. Dans ce cas, il n’aurait qu’à piocher dans ces réserves qui seraient alors reformées après l’effort.
Prenons le cas d’un coureur de 70kg sur 10km. Il va consommer environ 700kcal, ce qui nécessite 700/7 = 100 moles d’ATP. Le problème est que l’ATP est une molécule très lourde, 507g par mole, ce qui donne environ 50kg d’ATP pour courir un 10km ! Imaginez le surplus de poids nécessaire ! Il est donc beaucoup plus judicieux de former l’ATP selon les besoins, en travaillant à « flux tendus » pour éviter de le stocker 😉
Dans le dernier article, nous avons vu que les substrats énergétiques (les « carburants ») sont les glucides, lipides, protéines et qu’ils sont utilisés en proportion différentes selon l’intensité et la durée de l’effort, et également selon le niveau d’entraînement. Pour les détails, les graphiques et les explications, c’est par ici : les substrats énergétiques en course à pied.
Les filières énergétiques
Il existe 3 filières énergétiques qui permettent de fournir de l’ATP aux muscles au cours d’un effort. Deux d’entre elles sont dites anaérobies car elles ne nécessitent pas d’oxygène lors de la transformation des substrats en ATP. Ces 2 filières diffèrent par la production ou non d’acide lactique (elles sont qualifiées de lactique ou alactique). L’autre filière est dite aérobie car de l’oxygène est utilisée lors de la dégradation du substrat. En résumé, ces 3 filières sont :
- La filière anaérobie alactique
- La filière anaérobie lactique
- La filière aérobie lactique
Puissance et capacité des filières énergétiques
La puissance d’une filière énergétique est la quantité d’énergie produite par unité de temps. On peut assimiler la puissance à un débit d’énergie. Plus la puissance sera grande, plus la quantité d’énergie libérée à un moment donné sera importante. La capacité correspond à la quantité d’énergie fournie au total (le « volume du réservoir »).
La filière anaérobie alactique
Cette filière est ainsi qualifiée car elle ne nécessite pas d’oxygène et n’entraîne pas la production d’acide lactique. Elle utilise l’ADP formée par la dégradation de l’ATP pour re-synthétiser de l’ATP en utilisant la phosphocréatine (PC) :
PC + ADP <–> ATP + C
Dès le début d’un effort intense (un sprint par exemple), la phosphocréatine cède un phosphate à l’ADP pour former de l’ATP et permet, dans un premier temps, de maintenir la concentration en ATP constante. Malheureusement, les stocks de phosphocréatine sont très limités et ne permettent de fournir l’énergie à un effort de 20-30 secondes à 70% de VO2max, pas plus. La concentration d’ATP baisse alors et cette chute s’accompagne d’une fatigue ressentie par le coureur. La capacité de cette filière est donc très faible, par contre sa puissance est élevée car la libération d’énergie est rapide : c’est la filière des efforts courts et intenses (sauts, lancers, sprints, etc.).
Après l’effort, les stocks de phosphocréatine sont reconstitués par la réaction inverse, en utilisant la créatine formée lors de l’effort. D’où l’idée de certains d’ingérer de la créatine pour augmenter cette réserve d’énergie. Cette pratique est d’ailleurs répandue dans beaucoup de sport (mais interdite en France), mais certaines études ont montré la dangerosité d’une telle méthode (la dose proposée aux sportif est de 20g par jour, ce qui correspond à la teneur en créatine de 4kg de viande rouge !).
Lors d’un sprint de 100m, la phosphocréatine participe à environ 50% de l’apport total en ATP, l’autre partie étant apportée par la deuxième filière…
La filière anaérobie lactique
Cette filière correspond à la dégradation du glucose sans utiliser d’oxygène : c’est la glycolyse anaérobie. L’avantage principal de cette filière est sa rapidité pour libérer l’énergie. En effet, la dégradation du glucose est rapide (une dizaine de réactions) et elle ne dépend pas d’un apport en oxygène de l’air que nous respirons. La puissance disponible est toutefois moins élevée que la filière anaérobie alactique à cause de la chaîne de réactions nécessaire à la libération de l’énergie. En revanche, sa capacité est plus grande en raison d’un stock en glycogène (le substrat) plus important. La chaîne de réactions de la glycolyse anaérobie peut être résumée ainsi :
Glucose + 2 ADP + 2 Pi + 2 NAD+ <–> 2 Pyruvate + 2 NADH + 2 ATP + 2 H+ + 2 H2O
Cette partie est commune à la glycolyse aérobie. À ce stade, le pyruvate entre dans les mitochondries où il suit une chaîne de réactions appelées cycle de Krebs : c’est la glycolyse aérobie. Cependant, lors d’un effort intense, la première réaction produit plus de pyruvate que le cycle de Krebs ne peut en consommer, d’où son accumulation dans la cellule. Cet excès de pyruvate entraîne la formation d’acide lactique par la réaction suivante :
2 Pyruvate + 2 NADH + 2 H+ <–> 2 Acide lactique + 2 NAD+
L’acide lactique n’est donc pas responsable de l’acidité cellulaire ! Il sert seulement d’intermédiaire pour les protons H+. L’acide lactique qui s’accumule se dissocie ensuite en lactate et proton H+ :
Acide lactique <–> Lactate + H+
Le lactate est évacué de la cellule vers le sang. Il est transporté et pourra ensuite être recyclé, notamment pour former du glucose après l’effort au niveau du foie (néoglucogenèse) ou pour servir de carburant dans les organes capables de l’oxyder (principalement le cœur et les muscles). En fait, seule une faible partie du lactate est éliminée par le rein et la sueur.
La glycolyse anaérobie entraîne donc une acidification du milieu par accumulation de protons H+. L’acidité est l’inconvénient principal de cette filière. En effet, l’acidité entraîne :
- Le blocage la contraction musculaire
- Une baisse de la glycolyse anaérobie
- Une douleur difficile à soutenir
Finalement, l’enchaînement des réactions ci-dessus donne le bilan suivant :
Glucose + 2 ADP + 2 Pi <–> 2 ATP + 2 H+ + 2 Lactate + 2 H2O
Le rendement de la glycolyse anaérobie est donc très faible, puisque la dégradation d’une molécule de glucose ne fournit que 2 molécules d’ATP ! Nous avons vu dans l’article sur les substrats énergétiques, que l’énergie dépensée en course à pied est de 1kcal/kg/km. Une personne de 70kg a donc besoin de 700kcal pour courir 10km. La dégradation de 300g de glycogène (environ la moitié du stock) ne permet de fournir que 24kcal soit 24/700 = 3,4% de l’énergie nécessaire, soit les 340 premiers mètres ! Pas de quoi aller bien loin… l’utilisation exclusive de cette filière serait même dangereuse puisque la totalité des réserves en glycogène serait rapidement épuisée et qu’une forte acidité entraînerait la mort des cellules. Finalement, heureusement que la fatigue et la douleur nous forcent à ralentir et à utiliser préférentiellement la filière aérobie pour des efforts moins intenses mais plus longs 😉
La filière aérobie
Cette filière permet la synthèse d’ATP grâce à la dégradation du glucose (grâce à la glycolyse aérobie) ou des acides gras (via la bêta-oxydation puis la glycolyse). Pour le glucose, la première partie de dégradation est identique à la glycolyse anaérobie, c’est-à-dire qu’il y a formation de pyruvate à partir de glucose dans la cellule. Nous avons vu que cette partie libère seulement 2 molécules d’ATP par molécule de glucose. La suite est différente, le pyruvate entre dans les mitochondries où il suit le cycle de Krebs. La partie aérobie de la dégradation du glucose permet de libérer 36 molécules d’ATP soit 38 au total pour une molécule de glucose. On est loin des 2 ATP pour la glycolyse anaérobie ! La filière aérobie a donc une capacité bien plus grande que les deux filières anaérobie. Voici son bilan :
Glucose + 6 O2 + 38 ADP + 38 Pi —> 6 CO2 + 6 H20 + 38 ATP
La production d’ATP s’accompagne de CO2 et d’eau qui sont éliminés par la respiration et la sueur. Elle n’engendre pas d’acidité. De plus, la filière aérobie n’est pas dépendante du glucose et permet de dégrader les acides gras stockés dans le tissu adipeux (la graisse !). Leur oxydation fournit encore plus d’énergie que celle du glucose mais consomme en revanche plus d’oxygène.
Ces deux chaînes de réactions étant plus longues que celles des filières précédentes, leur délai pour fournir l’énergie est plus long d’où une puissance plus faible. Grande capacité et faible puissance : la filière aérobie est la filière de l’endurance !
Glucides versus lipides
La filière aérobie utilise aussi bien les glucides que les lipides pour fournir de l’ATP aux muscles. La proportion glucide/lipide varie en fonction de l’intensité et la durée de l’exercice et aussi en fonction du niveau d’entraînement. Pour connaître tous les détails, je vous renvoie (encore une fois !) à l’article sur les substrats énergétiques 😉
Bilan sur les filières énergétiques
J’ai regroupé dans le tableau ci-dessous les caractéristiques de chaque filière énergétique, de manière à résumer l’information. On retrouve le fait que les lipides constituent la réserve d’énergie la plus importante de l’organisme (et de loin !), mais cette filière est limitée par sa faible puissance : l’énergie est libérée 2 fois moins vite que la filière aérobie utilisant du glycogène et 3,5 fois moins vite que la filière anaérobie lactique…
Anaérobie alactique |
Anaérobie lactique |
Aérobie |
||
Substrat |
ATP, PC |
Glycogène |
Glycogène |
Acides gras libres |
Produit final |
ADP et créatine |
Lactate |
H2O et CO2 |
|
Prédominance selon l’effort |
Efforts intenses (sprints, sauts, lancers) |
Efforts soutenus (200-1000m) |
Efforts faibles à modérés (endurance) |
Efforts faibles à modérés (endurance) |
Puissance (unité arbitraire) |
7 |
3.5 |
2 |
1 |
Capacité |
Très faible |
Faible |
élevée |
Très élevée |
Temps de maintien à 70% de VO2max |
30s |
7min max |
90min |
Des heures |
Délai de production maximale |
Inférieur à 1s |
Inférieur à 5s |
3min |
30min |
Quelle filière énergétique pour quel effort ?
Nous avons vu que le choix d’une filière par l’organisme est dicté par l’intensité de l’effort. Cependant, ces filières ne sont pas indépendantes mais sont utilisées dans des proportions différentes selon le type d’effort. Ainsi, la filière anaérobie lactique sera privilégiée pour des efforts soutenus mais non maximaux, les deux autres filières complétant le reste du bilan énergétique. Le tableau ci-dessous vous donne un exemple des proportions de chaque filière pour fournir l’énergie en fonction du type d’effort (la somme des 3 filières étant égales à 100%) (d’après Newsholme, 1992). Ainsi, pour un 10km, la quasi-totalité de l’énergie est fournie par la filière aérobie avec du glycogène. Au-delà, la part du glycogène diminue et celle des acides gras libres augmente. Attention, il s’agit ici de données pour la compétition, c’est-à-dire courues à allure élevée. Une séance de récupération de 10km courue à 60-65% de VMA utilisera davantage d’acides gras que l’exemple donné ici 😉
|
Anaérobie alactique |
Anaérobie lactique |
Aérobie |
|
|
ATP, PC |
Glycogène |
Glycogène |
Acides gras libres |
100m |
48 |
48 |
4 |
0 |
200m |
25 |
65 |
10 |
0 |
400m |
12.5 |
62.5 |
25 |
0 |
800m |
6 |
50 |
44 |
0 |
1500m |
0 (sprint final) |
25 |
75 |
0 |
5000m |
0 (sprint final) |
12.5 |
87.5 |
0 |
10km |
0 (sprint final) |
3 |
97 |
0 |
marathon |
0 (sprint final) |
1 |
79 |
20 |
Ultra-trail |
0 (sprint final) |
0 |
40 |
60 |
Cette proportion relative des 3 filières énergétiques est résumée dans le graphique ci-dessous, appelé courbe d’Howald.
Si vous êtes arrivés ici sans décrocher, je vous dis bravo 🙂 car ce sont des aspects techniques pas simples à assimiler. Mais je trouve très intéressant de les aborder pour connaître un peu mieux comment notre corps fonctionne quand nous courons 😉 Qu’en pensez-vous ?
Bonjour. Je m’entraîne pour le 1500m en vue de passer l’épreuve d’EPS du concours de « prof des écoles ». Cet article très intéressant tombe à pic pour préparer mon oral! Bravo pour ce site très instructif.